Textes par Anne-Line Carraro
Séminaire du Jeudi 18 Novembre 1999

LE CADRE

Animer un atelier de création dans un service de psychiatrie à l’hôpital général, c’est proposer au patient psychotique ou gravement déprimé de dépasser sa souffrance, son sentiment d’incapacité et avec l’aide d’un soignant formé dans le domaine artistique, de s ‘autoriser à créer donc à dire, exprimer quelque chose de lui-même dans cet espace relationnel médiatisé par l’objet.

A partir de mon expérience depuis 5 ans, dans ce service, je développerai les grandes lignes du cadre thérapeutique et donnerai des exemples de ma pratique en groupe et en individuel.

La présence du soignant demande beaucoup de tact, son rôle est d’être attentif et permissif mais aussi capable de poser des limites, assurer le contact avec la matière et les outils, susciter le rapport à l’espace de projection.

Renvoyer l’image de la position du corps, assurer la permanence de son regard sans être intrusif. Il est soutien de l’intention sans jamais se substituer à la personne.

Le soignant éveille le processus créatif de chacun.

C’est sur le supposé savoir que j’ai (connaissance en histoire de l’art, savoir sur le beau) et sur mon savoir-faire dans différentes techniques que je pratique (dessin, pastel, fusain, travaux manuels, vidéo, karaoké, plantes, jardin, etc…) et que je leur transmets, que le patient va me reconnaître en tant que personne autre, différente des autres soignants, et c’est sur cette base qu’il va établir une relation de confiance. Le soignant crée les conditions matérielles qui permettent une expérience de vie différente et nouvelle. Il témoigne au patient que l’on peut attendre de lui quelque chose de bon (je ne vais pas le juger sur ce qu’il fait, mais l’aider à mettre en place un projet de création)

Ainsi, une relation privilégiée s’installe, qui permet d’éprouver tout cela dans un échange relationnel s’apparentant au bain d’affects qui ailleurs donne sens aux interactions précoces mère-nourrisson.

Bain d’affects qui va permettre un étayage et une restauration narcissique et donnera lieu à des changements comportementaux.

L’œuvre finie mais surtout le temps d’élaboration du projet est parole porteuse d’énoncés et chargée d’affects. C’est là, où le rôle du soignant atteint sa limite, car il n’est pas en situation classique psychothérapeutique. Il accompagne le symptôme, travaille à relancer la créativité, valide la personne au travers de sa production. Ce sont des tâches difficiles et suffisantes pour que se produise une parole, qui pourra éventuellement être reprise ailleurs.

Winnicot parle de préoccupation maternelle primaire et de mère suffisamment bonne, qui donne l’illusion à son enfant de créer l’objet et satisfait son omnipotence. Chez le psychotique qui n’a pas à disposition les outils symboliques, et chez qui le " moteur " du désir se trouve en panne… Faire surgir le désir de chacun, le plaisir de s’engager dans un acte de création, à n’importe quel moment, cela implique une très grande disponibilité et une écoute constante. Pour en faire un but, le mettre en forme, le plus rapidement possible, et essayer d’être au plus près du résultat escompté par le patient. Il faut savoir se saisir de ce qui se passe dans l’instant présent, dans la dynamique du groupe, s’appuyer sur une sensation, un ressenti, une odeur mais aussi la parole de quelqu’un –prise au vol-, un regard, une sensation… Et, c’est pendant ces moments là que j’ai l’impression qu’ils se sentent vivre, et que se recrée une unité narcissique chez le patient.

La reconstitution de l’unité narcissique chez le patient régressé, provient bien de l ‘entourage qui prodigue son amour. Je rappelle qu’il faut entendre par amour : engagement thérapeutique dans la permanence. Le soignant est une représentation maternelle dans l’institution.

La stabilité du soignant et la solidité du cadre font que les patients tolèrent mieux l’angoisse légitime liée à l’expérimentation nouvelle.

Le cadre représente donc peu de choses s’il n’est pas animé de toutes les interactions et relations transférentielles qui s’y déroulent. La capacité créative du bébé ne se développe que sous l’influence du désir de l’autre.

Pour le patient psychotique, l’investissement du thérapeute conditionne l’apparition de la créativité, qui naît dans un espace relationnel médiatisé par l’objet.

Exister aux yeux d’un autre et retrouver une autonomie relative, constituent des résultats.

Résultats qui paraissent timides, modestes, mais fondamentaux pour le schizophrène.

Je vais essayer maintenant de faire revivre ces moments chaleureux où s’exprime une subjectivité retrouvée à travers plusieurs séquences :


HALLOWEEN OU L’HISTOIRE DES TROIS SORCIERES

QUI COMMENCENT A TISSER LEUR TOILE !



Comment faire revivre des lieux sordides, sombres, désaffectés que sont les locaux des 3 services de psychiatrie ?
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Premièrement : s’appuyer sur ce décor déjà existant.

Deuxièmement  : solliciter la participation des 2 autres ateliers (CATTP Psy A et Atelier Psy C)

Troisièmement : choisir le sujet " La fête des sorcières et des citrouilles "
 
 

ALLO ? OUI !

WEEN ! ………. CA MARCHE !
 

L’histoire remontait déjà à la fête de la musique. Les 3 ateliers se sont mobilisés chacun de leur côté, pour préparer le terrain, pour redonner un peu de vie dans le petit patio : Ce qui n’est pas une mince affaire et de toutes les façons maintenant l’affaire de tous. Puisque ce lieu est devenu un lieu de rencontre des 3 ateliers qui de différentes manières l’ont investit.

J’ouvre une parenthèse clinique sur un patient, pour décrire ce que cette activité de jardinage a pu induire chez lui.

Celui-ci me voyant bêcher le terrain justement, me regarde faire, un petit moment et puis tout d’un coup m’insulte assez violemment, alors qu’auparavant il s’était excusé de ne pouvoir m’aider, car douleurs au dos.

Surprise, je lui rappelle assez fermement que je n’accepte pas à l’atelier les gens qui n’ont aucun respect pour les autres.

Le lendemain toujours sur le terrain revient me voir, s’excuse, et m’explique : " A la cinquième motte de terre que tu as retournée et fendue, j’ai cru que c’était moi que tu brisais ".

Je lui réponds : " Mais, tu n’es pas de la terre et jamais je ne te ferais du mal. Je suis là pour te soigner. Tu le sais bien ".

Cela m’a fait mal, j’ai tout de suite pensé à une intervention de la psychologue de ce patient, où elle nous rapportait , comment il s’identifiait au déchet, à l’objet de rebus.

Ceci illustre comment quelque soit l’activité que l’on fait ou crée avec un patient psychotique, c’est l’occasion pour lui de dire, montrer, agir quelque chose de sa problématique.

Ceci démontre combien même en dehors des états aigus, ce patient fonctionne sur un mode interprétatif.
 
 

Mais revenons en à HALLOWEEN.

Cette fête devait prendre une autre dimension. Sortir des ateliers et être présent dans les couloirs du Centre Social. Prendre possession des lieux pour étendre l’espace atelier (peu importe quel atelier, surtout tous), à ces couloirs sordides et sans vie ou déambulent quelques patients. En faire une extension, mais toujours dans un cadre réfléchi et pensépar des soignants pour qu’il puisse y avoir comme dans les ateliers une écoute constante, un environnement qui prête à une certaine dynamique d’échanges et de partages, d’entraide de découverte de l’autre, ce qui peut contribuer à l’amélioration de la qualité de vie en collectivité entre autres.

t Tout d’abord, chaque atelier a commencé à faire de son côté les décors.

t Puis rencontres dans les couloirs avec questions : " Alors vous en êtes où ? Qu’est-ce que vous êtes en train de faire aujourd’hui ? "

t Puis visites dans les différents ateliers. Echanges, prêts de matériel,

t Et enfin, Patients qui travaillent dans son atelier mais pour un autre. Les petites commandes du savoir-faire (pochoirs chauve-souris et sorcières), la tête de sorcière d’une patiente a atterri sur les épaules de la sorcière du CATTP de psy A.

Leur tête à eux, à l’origine un ballon de foot, a été relooké par nos soins en citrouille pour le croco sportif.

t Achat de matériel pour mettre en valeur un autre atelier qui est plus discret sur ses projets. (toile d’araignée verte fluo) pour éclairer le couloir côté Psy C.

Au fur et à mesure, les trois équipes réfléchissent et pensent de plus en plus à grouper leur travail.

Ponctuellement, cela est l’occasion de faire une sortie au Jardin Planétaire. Atelier Psy B et CATTP Psy A, avec nos jardiniers en herbes. Riches d’échanges, moment immortalisé par la photo souvenir et promesses de recommencer ensemble.

Puis il y a eu l’Inauguration du Coin Oriental au CATTP, avec KARAOKE, gâteaux thé à la menthe " mieux que Laïd, comme au Bled. ", rencontre à nouveau à ce moment là des trois ateliers.

HALLOWEEN a suscité un enthousiasme assez grand :

" Etait-ce le fait de proposer une autre façon de travailler, en faisant pour la première fois une activité intersectorielle qui a réussi à faire tomber les murs, rompre la glace inhérente à tous les services et que les patients ressentent profondément. "

HALLOWEEN, c’est un dépassement de tout cela, un engagement, un temps, une durée, une fête.

Pourquoi cet enthousiasme, pour une fête assez morbide d’ailleurs ?

Jouer avec ses morts ou de ses morts. Se jouer de la mort au moment où l’on va acheter son pot de chrysanthème, pour le mettre sur la tombe de ses morts, pour avoir bonne conscience.

Nous aurions pu choquer, provoquer… NON ! Quelques réticences de certains, au nom de leur religion, n’ont pu se rendre à la fête.

HALLOWEEN a été re-situé dans son contexte avec les affiches sur l’origine. L’amalgame des trois fêtes :

Celtes (les esprits des morts reviennent dans les demeures), Romaine (fête de la moisson, de la vie dans Halloween) et Catholique nous donne cette fête, où les citrouilles grimaçantes et lumineuses se mêlent aux sorcières, squelettes, fantômes, bestioles pas très sympathiques, en même temps que nous commémorons nos morts. Ici nous nous en sommes amusés. Face à nos Zombis ensuqués de neuroleptiques, toujours dans le vague, vide. Leur insuffler un peu de vie grâce à HALLOWEEN, était un pari risqué. Les mettre face à leur objet phobique : Araignée, Rat, etc..

Tisser une toile d’araignée, y prendre du plaisir et rendre possible de toucher et presque d’aimer l’araignée, cette bête répugnante avec toutes ses pattes, qui cavale partout, on voudrait l’écraser, mais plus rapide que nous, se faufile se tapie dans un coin et donc toujours présente sans être là, à l’occasion peu vous piquer ou vous engluer dans sa toile. BEURK !…

Enfin un semblant de réconciliation avec l’amour maternel, envahissant ou inexistant !…

Un patient, corps morcelé, nous fait " LA CHOSE ", la main vivante de la Famille Adam’s.

Je lui propose de la mettre dans une boîte " faite maison "..

Il me demande de dessiner un squelette, je lui fais sur un bout de feuille. Il le récupère, le lendemain, le dessin se retrouve dans un cercueil, à sa taille, fait en terre.

Nouvelle façon de jouer avec ses morts, de les enterrer, de commencer peut être à en faire le deuil… A la réunion soignants soignés, pour la première fois il se présentera comme quelqu’un souffrant de deuil, en disant ces mots : " Je suis là pour une dépression, suite à un décès dans ma famille ".

Ce patient schizophrène a perdu sa mère dans des circonstances dramatiques et ne peut pas en parler.

Pour l’araignée il s’en tire à bon compte me fait Spider-Man en terre, une autre façon de ne pas se confronter avec la bête…Bien que, quand même présent et demandeur pour tisser la toile géante. Ne s’englue pas, ne s’emmêle pas, et s’en sort…

Le jour de la fête, en milieu d’après midi me demande à se déguiser. Je lui propose les masques d’HALLOWEEN à l’atelier.

Non c’est en femme qu’il veut se déguiser ! S’habille donc en femme.

Je lui fais remarquer que la barbe et les poils des jambes sont de trop. Se déshabille en disant : " Non ça ne va pas ! "

Qu’est-ce qu’il a bien voulu me jouer là ? Psychose IV ?…

En attendant je trouve qu’il avance, mais attention gare aux glissements de terrain, car cela est très fragile. Laissons- le nous démontrer ce qu’il ne peut pas encore nous dire. Ce n’est pas le moment de se saisir de cela pour en faire quelque chose en entretien. Je ne fais que l’encourager dans ses projets créatifs.
 

Ou cet autre patient dont les signifiants du nom propre évoque le monde aquatique

Vient en hôpital de jour, dans ce bain maternant " l’atelier "

Il fait du papier mâché, qui a à voir, avec la séparation, la caresse, la réconciliation, la consolation, le droit à la régression, mais pour mieux reconstruire, faire des choix, grandir.

Ca baigne, il nage de plaisir, se revalorise, en redemande, il se montre heureux.

Il choisit comme déguisement le fantôme. Ca flotte encore un élément marin, grand drap vaporeux et flou qui l’enveloppe…

Ces histoires qui s’emmêlent et défilent dans ma tête me confortent et me relancent dans ma pratique. HALLOWEEN, est le tremplin pour NOËL, LES ROIS, LE CARNARVAL. De quoi scander d’autres temps, éveiller la mémoire individuelle et collective, les traditions les rites.

Mais il y a aussi des histoires à fabriquer de A à Z, en sollicitant chacun des participants :
 

Le groupe vidéo.

L’histoire de ce groupe vidéo était de profiter de l’expérience de deux stagiaires psychologues, exerçant des professions dans le cinéma, pour m’aider à animer un groupe vidéo à l’atelier.

Les objectifs étaient :

L’écriture d’un scénario, mise en scène, tournage, montage sons et images, et projection du court métrage dans l’institution.

Le démarrage a été assez long, malgré une équipe soignante assez fournie

Nylda Debenne venait de nous rejoindre : - deux stagiaires psychologues, une psychologue, une infirmière psy.

Les patients ont montré d’importantes difficultés et une grande inhibition face à la consigne : inventer une histoire en commun.

Il s’est passé des phénomènes de groupe, de stimulation entre patients qui seraient très intéressant à développer.

Face à un matériel très important et bien que les évènements institutionnels : fermeture du service, départ précipité des patients, vide du matériel de l’atelier, disparition du stagiaire psychologue, ne nous aient pas permis d’aboutir aux différentes étapes pour la réalisation du court-métrage. Nous en sommes restés à l’écriture d’un scénario.

J’ai fait un choix, celui de privilégier la démarche de deux patients du groupe.

J’ai choisi ces deux patients parce que l’un comme l’autre qui ont le même thérapeute, ont utilisé le même matériel en séance de groupe et en individuel.

C’est sur cette interférence dans ces deux lieux de parole que je parlerai.

Ce qui montre comment le matériel d’élaboration, s’enrichit dans l’un et l’autre lieu.

Ces deux patients ont un discours pauvre et stéréotypé, peu d’accès à des souvenirs, à une mémoire, ils sont sans histoire…

Ils ont une capacité d’élaboration mentale limitée.

C’est quand même une patiente qui nous a tendu la " perche ", comme il y a de cela 3 ans pour le spectacle qu’ Anna Valentine avait mis en scène au théâtre : " Il faut à tout prix que je parle ", un de ses textes, avait fait locomotive mais aussi fil conducteur, de toute la représentation, qui parlait comme vous l’avez deviné de la communication.

Pour le groupe vidéo, il s’est agi d’un de ses rêves, ou plutôt d’un cauchemar, rapporté ailleurs.

" Elle était en train de filmer sa sœur sur un grand balcon, celle-ci discutait avec leur mère. La dispute arrive, tourne rapidement à la querelle et au drame. La mère attrape sa sœur et va la jeter par-dessus le balcon. La patiente assiste à la scène dans le viseur de la caméra. Tout bascule, elle lâche la caméra pour secourir sa sœur. "

C’est à partir de ce cauchemar que l’on décide ensemble d’en faire une partie du scénario.

Le sujet est tout de suite trouvé : " A quoi rêvent les gens ? "

Chacun va raconter un rêve, un désir, un fantasme, peu importe. Ces courtes histoires différentes, venant de chacun, comment les relier ? Comment les simplifier, pour en faire un court métrage ?

Nous nous attaquons donc, à l’écriture en reprenant à chaque fois ce que nous proposent les patients.

Ce cauchemar est remodelé sur plusieurs séances, mais la patiente n’est pas constante, souvent très en retard ou absente. Je rappelle au passage, que cette patiente est épileptique.

Comme au théâtre elle essaye de faire la mise en scène de son scénario, mais comme nous sommes juste dans le champ de la parole, cela est plus difficile pour elle. Pour tout le monde d’ailleurs penser directement en image est assez compliqué…

Au théâtre elle avait mis en scène son évanouissement dans les bras de deux autres acteurs, soit, sa problématique : " l’absence "

Au groupe vidéo, l’absence était réellement là, à l’atelier mais aussi chez elle (fugue de chez elle toute une nuit, était venue se réfugier devant le service…) Elle était aussi à l’époque en rupture de traitement pour son épilepsie, mais aussi pour ses troubles du comportement, et angoisses.

Tout au long de l’année, sa mère, " son cauchemar ", ne l’a pas jetée par-dessus le balcon, par contre, elle l’a frappée, a lacéré à coups de couteau le pull qu’elle lui avait emprunté, etc …Et elle a ainsi pu dire à la fois la haine, et l’attachement qu’elle a pour sa mère.

Ce groupe lui a permis de reprendre un peu l’écriture, ce qu’elle faisait auparavant mais qu’elle avait délaissé, elle notait donc tout ce qui lui traversait l’esprit et la parasitait, tout ce qu’elle avait du mal à comprendre, ses difficultés, ses désirs. Elle me remettait son cahier toutes les semaines, pour que l’on puisse en parler par la suite.
 

Un autre patient m’a semblé d’emblée, intéressant, très doué manuellement. Il a réussi à apprendre la technique du pastel et à produire… Ses dessins sont exposés et vous pouvez voir combien ils expriment les changements de son état psychique.

La valorisation narcissique l’a beaucoup aidé dans sa détresse et sa grande solitude.

S’il est assez captivant avec ses grands yeux bleus, comme des " soucoupes aspirantes. " Il déçoit par un comportement très enfantin, régressif, avide d’aide, son incapacité à faire face.

Le groupe vidéo a concrétisé toutes ses peurs et ses inhibitions. Parce qu’il fallait créer au moyen de mots – il est illettré

Comme il témoignait de son embarras à sa thérapeute, elle a entrepris de le mobiliser sur son histoire, ce qui cette fois a permis de faire resurgir un souvenir.

Souvenir important raconté avec une grande précision comme un souvenir écran,

souvenir traumatique, et comme l’événement déterminant qui a changé son comportement.

Il s’est souvenu du jour où il a " déraillé " pendant une leçon de lecture : (Il devait avoir 7 ans)

C’est l’histoire d’un pari entre le soleil et la pluie. Ils se disputent. Le pari : "  - Qui arrivera à faire ôter le pardessus du berger ? "  Il pleuvra pendant 30 jours et il y aura du soleil pendant 30 jours. Que doit faire le berger ? Doit-il ou non se couvrir ?

Il a griffé sa maîtresse d’école au bras avec sa plume (porte-plume), " -C’est rentré dans le bras, ça a fait une marque " Il a fait pipi sur lui.

A partir de ce jour, il a mélangé les mots, il a vu les choses à l’envers, il est tombé malade et s’est absenté de l’école. Il est resté " à couvert. "

Dans un premier temps sa thérapeute. a valorisé cette histoire. Elle a induit qu’elle pourrait être racontée au groupe. Et, le groupe s’en est emparé, elle a beaucoup plu. Chacun, rajoutait quelque chose à la mise en scène. Un tel voulait les dialogues à la"PAGNOL." Deux autres devaient faire le soleil et la pluie à la façon des petits vieux du Muppets Show (ce qu’ils faisaient si bien continuellement dans ce groupe) un arc-en-ciel devait être rajouté, le berger devait être arrosé copieusement bien. Bref tout y était…

Au fil des séances de vidéo et de psychothérapie, il est apparu que le berger c’était lui.

Et qu’il s’en prenait plein la tête… et que le soleil et la pluie sont la représentation symbolique des images parentales.

De mon côté j’insistais sur cette histoire de pari. " - c’est un pari bête.. Il doit manquer quelque chose à l’histoire. C’est trop simple. Il n’y a que le soleil qui puisse gagner, c’est évident, logique. C’est ce qui se passe en temps normal. Quand il pleut, je mets mon imper, quand il fait soleil j’enlève mon imper je me découvre. C’est le soleil à tous les coups qui gagne. Il n’y a que lui qui peut gagner. "

Une question s’est énoncée avec sa thérapeute, de quel côté un enfant se range ? Du côté de la mère ? Ou du côté du père ?

Le côté du père représente une ouverture symbolique avec accès à l’écriture, à la lecture…

Progressivement le patient a critiqué son délire de filiation et de persécution à l’endroit du père.

Il est allé tellement mieux qu’il a intégré l’hôpital de jour pour d’autres activités et qu’il travaille actuellement au C.A.T. de Villepinte, à l’atelier reliure.

Cet exemple vient illustrer la relance permanente entre l’activité créatrice et psychothérapique, l’enrichissement de l’une par l’autre et pose la question du " décloisonnement " dans les prises en charge de psychotiques.

D’autres part, nous nous sommes retrouvés dans ce groupe vidéo avec d’autres petites histoires, leurs histoires.

Exemple : cet autre patient.

L’histoire : Une voyante qui prédirait de belles choses, un bel avenir à un inconnu de passage qui viendrait la voir et laisserait des marques. Mais cette voyante ne voit rien (aveugle.) Lui, il fait des cauchemars. Elle ne fait que le rassurer. Lui dit qu’il ne faut plus penser au passé.

Nous rajoute : " On ne voit bien que quand on est aveugle, c’est avec le cœur , l’essentiel est invisible pour les yeux. "

Cette première histoire ne lui convenait plus il a choisit de la modifier avec une voyante qui n’a pas perdu la vue et qui tire les cartes. TRAVAIL , SANTE, AMOUR. Il donne toute l’importance à la carte SANTE : où la voyante lui dit d’arrêter l’alcool, pour arriver à trouver du travail et faire peut être une rencontre amoureuse.

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Pour créer dans ce groupe, ces patients ont eu besoin de faire appel à leur histoire. Mais enrègle générale dans chaque activité à l’atelier ils sont toujours en train de démontrer ou de jouer quelque chose qui a avoir avec leur problématique.

Ce que je vous propose d’illustrer avec un cas clinique.
 


M. X. ET LE CUBISME



Travail autour du fusain.

1ère semaine

M. X. passe à l’atelier, regarde, s’intéresse à ce qui s’y passe. Parle de ce qu’il a fait auparavant. A l’air d’avoir envie de s’y mettre lui aussi.

C’est l’époque où cet autre patient était très productif, et faisait l’admiration de tous avec ses dessins au pastel sec.

Je le décourage en lui demandant s’il est droitier ou gaucher. Ne sachant pas ce qu’il a aux bras, bandage, plâtre ? Il me répond droitier. Débordée de travail, période ou beaucoup de patients étaient demandeurs, surtout pour le dessin, tous plus ou moins stimulés par la présence du patient dont je viens de parler, je lui dis que cela ne va pas être possible. Revient à la charge presque tous les jours pendant une semaine.

2ème semaine

Un après midi, il s’inclut dans une conversation dans le couloir devant l’atelier, où je suis en train d’expliquer, que l’on n’est pas obligé de dessiner de sa bonne main, que parfois on peut être très étonné de ce que l’on peut faire de l’autre main.

" Exercice : Assis – debout- main gauche – yeux fermés.

Assis : - Position qui a à voir avec l’intellect, donc l’écriture. Les dessins sont très souvent fermés, étriqués, rabougris, riquiqui.

Debout : - Tout de suite, le dessin est plus aéré, mieux cadré, l’espace est mieux investit sur la feuille, plus d’ouvertures, la vision de ce que l ‘on est en train de faire est plus globale.

Main gauche : - on va à l’essentiel, les traits sont rapides, formes simplifiées, moins de détails.

Yeux fermés : - Les formes sont très simplifiées, plus de détails, il ne reste que l’essentiel, les grandes directions. "

Pour en revenir à M. X., celui-ci, s’intéresse beaucoup à ce que je suis en train de raconter, et plus tard dans l’après midi je le retrouve, plongé sur une feuille en train de faire un croquis qu’il poursuit le lendemain. J’en profite pour lui demander quel est son projet. Il m’explique qu’il veut faire le " pot et la bouteille " de Juan Gris, qu’il a trouvé dans Libération.

Il répondra à la demande d’un patient qu’il a eu " un accident de voiture. " Tout le monde s’apitoie sur son sort, moi, la première : " Ah mince ! Vous en avez pour combien de temps avec votre bandage ? " Il me murmure : " Non c’est une attelle, je dois la garder trois semaines. Je raconte à tout le monde que c’est un accident de voiture, pour couper cours à tout. En réalité, d’un côté c’est les veines de l’autre les tendons. " Et moi qui lui redis " ah, mince ! … Cela ne vous gêne pas pour dessiner ? "

Il me fait voir que non, en bougeant les doigts dans tous les sens et enchaîne sur son histoire. DROGUE, avec injections, puis maintenant ALCOOL et CANNABIS. M’explique que dans ses moments de déprime il a réussit à peindre surtout à l’huile

Ici fusain, je recadre tout de suite sur sa feuille, et lui demande pourquoi il a mal centré son dessin. Toute la composition est à gauche. " - J’ai envie de rajouter le " portrait de Maurice Raynal " de Juan Gris. "

Je lui dis "  - D’accord mais il faut tout de suite le faire, ne laissez pas en blanc une partie de votre feuille si vous avez le projet d’y mettre quelque chose, cette partie vide s’appelle zone d’urgence, occupez-vous en tout de suite, cela va équilibrer votre composition. Travailler toujours en recherchant cet équilibre. Ne scotcher pas votre feuille sur la table, car il faudra la prendre pour la mettre sur le chevalet, pour regarder de loin votre dessin. Prendre du recul sur ce que vous faites est nécessaire pour savoir où vous en êtes et pour pouvoir avancer dans votre projet. "

Tout de suite il enchaîne : "  - Le travail cela ne va pas, j’ai failli me battre avec mon patron. De toutes les façons il faut que je quitte cet emploi et que je parte à la montagne. "

Moi : " - Ah oui ! … Mais il ne faut pas partir n’importe comment. Donc respecter votre projet pour l’instant, la zone d’urgence en premier lieu. "

" - Oui je suis d’accord avec vous, il vaut mieux que je parte dans de bonnes conditions. "

Plus tard le portrait de Maurice Raynal est dessiné, le scotche est toujours là. Lorsque je passe voir où il en est, il me parle de son sujet le pot d’eau, la bouteille de vin et l’homme à la gueule destroye…De sa vie en me rappelant que lorsqu’il va mal il prend n’importe quoi, alcool médicament, cannabis et avant drogue.

Le soir vers 17h 45, j’annonce à tous que l’atelier va bientôt fermer. Je fais le tour de tout ce qui s’y passe.

Il avait remis pardessus le scotche transparent, le gros scotche marron, celui qui sert à emballer les cartons lorsque l’on déménage.

Je n’hésite pas une seconde : " - Alors vous ! Vous êtes vraiment scotché à ce que vous êtes en train de faire, pas moyen de vous décoller ! "

"  - Ca ne me plaît pas ! "

" - Evidemment, vous avez trop noirci. Les blancs où sont-ils passés ? C’est tout l’un ou tout l’autre avec vous ! Je vous ai dit du recul, prendre du recul sur ce que l’on fait. Je me permets de vous décoller. "

En disant cela, je décolle sa feuille je la mets sur le chevalet de table et je lui demande de se reculer, pour regarder son dessin de loin.

" - Alors ? … "

" - Non cela ne va pas, je recommencerai un autre demain. Celui-là, à la poubelle ! "

" - Certainement pas, on ne jette pas pour effacer ses erreurs, on compose avec ses erreurs, on essaye de les rendre supportables, ou même belles, qu’elles fassent partie de ce que l’on est en train de faire, que cela ne soient plus des erreurs, mais quelque chose à quoi on a réfléchi, qui fait partie de la composition. Effectivement vous en avez trop rajouté, le pot et la bouteille se confondent, il faut les différencier. Donc faîtes des choix. A des endroits plus foncés, à d’autres plus clairs. Il faut vous faire une gamme de couleurs avec le fusain. En partant du blanc du papier, et en passant par tous les tons du plus clair au plus foncé, jusqu’au noir du fusain, très appuyé. Et là, vous aurez une palette de couleurs. Dans la vie tout n’est pas gris. Ce n’est pas non plus tout blancou tout noir. Il y a toujours une multitude de nuances.

Votre pot et votre bouteille ne font qu’un. Qui est qui ? Choisissez les limites de chacun pour les différencier. C’est le moment de faire des choix. On doit continuellement en faire. "

Je lui explique : " Je redessine les blancs, je ne suis pas en train d’effacer, les erreurs. Je les redessine, en choisissant les formes, les couleurs, les limites des différents objets. Je peux modeler ma gomme " pain de mie " comme je le souhaite.

Je lui montre comme exemple un nu, fait à partir d’un clair-obscur, pour lui faire comprendre, qu’il y a plein de possibilités avec cette gomme, ce fusain et ce papier.

" - Celui qui a fait cela a de la bouteille ! … " Fin de la journée.

Il termine sur plusieurs jours son dessin au fusain se montre assez content du résultat, fait l’admiration de certains à l’atelier. Et attaque aussi sec, le pastel gras.

Le sujet, un clown, qu’il a trouvé dans une revue. L’article parlait de parapente.

Me raconte qu’il aime bien faire du parapente, qu’il en a déjà fait.

Il Dessine très bien son clown au crayon, mais n’écoute pas lorsque je lui dis de ne pas superposer deux matériaux différents pour la couleur. Pastel gras puis peinture.

A nouveau il n’est pas content du résultat et veut jeter son dessin.

L’erreur est difficilement rattrapable, car M. X. n’était plus du tout dans le registre fusain, ou l’on peut patouiller, ajouter, enlever, où l’on s’en met plein les doigts, bref pour certains cela peu paraître sale.

Ici, il était plus dans le coloriage, respecter les limites, pas de taches, pas de bavures. Il s’attendait à un résultat net, propre, avec des limites très dessinées. L’inverse de ce qu’il avait fait auparavant.

Je me creuse la tête deux minutes, sachant que cela à l’air très important pour lui, et qu’il n’arrive pas à le faire lui-même car il est trop déçu. Je trouve la solution collage, camouflage, et en même temps mise en forme pour que cela est un sens dans son dessin, et qu’il soit contentdu résultat.

La solution lui plaît, il se l’approprie, et l’investit plus que je ne l’espérais, prend du plaisir à trouver différents papiers, à choisir les couleurs et à faire des brouillons pour choisir les formes. Son clown prend vie, prend du relief, il le bichonne et je crois bien, qu’à la fin, il l’aime plus que son dessin au fusain, car il a joué avec lui, il s’est permis de faire un sujet qui pourrait paraître plus infantile aux yeux des autres. Mais ce sujet a été traité de la même façon que l’autre, par moi. Et lui, il s’est permis de faire le clown.
 

Pour terminer sur une dynamique de groupe, je parlerai du KARAOKE.

Lorsque j’organise un KARAOKE, je propose toujours des places pour quelques patients des autres secteurs aux différents soignants de ces ateliers. Il y a toujours du monde ! Si je traîne trop dans le temps pour en programmer un. On me le fait remarquer et la remarque ne vient pas forcément de notre secteur. Dernièrement un patient d’un autre service m’a demandé en aparté si je pouvais l’auditionner seul…

Bref cette activité à un cadre très élastique, ce qui convient à tous, soignants soignés !… Chacun y prend du plaisir, chacun joue son rôle au micro. Cela fait partie intégrante de l’atelier. L’effet inhibiteur n’est pratiquement qu’un vague souvenir. Le matériel est sur place, sorti quelques fois à la demande immédiate et pressante d’un patient. C’est un objet familier.(Je pense que c’est comme cela qu’il faut fonctionner avec la VIDEO.)

Même les nouvelles têtes voyant les habitués y prendre autant de plaisir et s’amuser, s’y lancent volontiers.

Mais attention souvenirs souvenirs, nostalgie quand tu nous prends, cela fait revenir des affects qui des fois semblaient ne plus exister chez certains. ( Comme cette patiente schizophrène qui " craque " lorsqu’elle entend :" Je suis un géant depapier ")

A ces moments là il faut se détacher du groupe et être à l’écoute de la patiente, pour qu’elle puisse y mettre des mots.

Des mots pour le dire, des mots pour le chanter encore une parenthèse pour écouter ce que nous disent M. et MM. Y
 
 

A PROPOS DU COUPLE Y.



Un couple déchiré – collé - papier mâché – karaoké …

Sur une décision institutionnelle, pour sortir de l’impasse : chambre fermée, depuis 2 mois, sans résultat dans l’évolution de Mme Y qui présenta un état discordant avec sidération, obsessions et stéréotypies et alors que son mari M. Y, schizophrène alcoolique est hospitalisé dans le même service. Il a été convenu que M. et Mme participeront en alternance, aux activités de l’atelier. Le matin Madame, l’après-midi Monsieur.

Un matin où le groupe était en train de travailler sur les décors d’Halloween, Madame Y arrive et enchaîne tout de suite sur la confection d’un pompon : le corps de l’araignée. Elle emmêle toute la laine, la haine. Ce n’est plus qu’un sac de nœuds.

Je lui fais remarquer : " -Cela est bien noué. Il faudrait commencer à dénouer cette situation si vous voulez y arriver. " (en parlant du pompon)

Je lui propose de faire la vaisselle. La fait en me disant OUI et NON ou NI OUI NI NON. Donc je lui dis : " D’accord faites-la ! "

Elle rince simplement les verres à l’eau. Je lui montre la lavette et le produit à vaisselle, mais toujours avec son NON OUI, OUI NON, continue à sa façon.

Pendant ce temps là, je lave la table pour préparer la prochaine activité " papier mâché ".

Elle me prend la lavette des mains et continue de laver la table, puis me prend systématiquement des mains tout ce que j’entreprends de faire : le balai, les poussières, qu’elle pousse jusque derrière moi, me suivant lorsque je vais chercher la pelle, et la pelle.

On sait qu’elle fait de même avec son mari. Là, elle le lâche un peu pour me coller moi.

C’est à dire que je deviens un interlocuteur possible pour elle, puisqu’elle est dans une relation de collage.

Je lui propose donc comme activité le  " papier mâché " :

Déchirer, puis coller le papier.

J’essaye de lui faire déchirer du papier journal dans le bon sens, qu’elle puisse le sentir dans son corps. A beaucoup de difficultés. Le fait par à coups, donc impression désagréable, accrochage, cela ne coule pas.

Les autres patients attentifs à ma démonstration et certainement au plaisir que je montre et dis : " Comme c’est agréable de déchirer proprement, sans bavure, toujours les même bandelettes. Ou alors tiens, je vais en faire des plus grandes des plus petites, mais toujours dans le bon sens. "

J’insiste beaucoup sur le sens et l’amplitude du geste, l’effet agréable, relaxant. Tout le monde s’y met, même Melle W qui habituellement ne touche à rien, reconnaît y prendre du plaisir.

Retour du couple Y, l’après-midi, après leur entretien conjugal avec leurs psychologues : Activité en cours KARAOKE.

Monsieur s’empare tout de suite du micro et chante : " L’été indien " de Jo Dassin. Madame le rejoint et se met à chanter aussi. Ensemble, puis alternativement se repassant le micro.

Il n’était pas prévu que Madame reste mais … Le décor est planté, ils se sont appropriés le texte, ce n’est plus la chanson de Jo Dassin, mais celle de Monsieur et Madame Y, qui sont en train de se dire des choses.

Comme au théâtre chez certains patients qui se remplissent du rôle qu’on leur propose et bien sur des mots qu’on leurs prête, et qui arrivent à composer merveilleusement avec leur propre problématique.

Madame continue à s’adresser à son cher et tendre avec Hervé Villard : " Reviens ", " Mon fils ma bataille " Balavoine, et le final : " Oui j’l’adore, c’est un voyou un filou… " Il fallait que ça sorte toujours juste dans le ton.

" Et ceci terminera notre journée, c’était la dernière chanson. A demain pour tout le monde. "

Au moment de se séparer, elle me dit qu’elle aimerait avoir une permission pour ce week-end, avec son mari, pour rentrer chez elle. Me dit tout cela très clairement, sans aucune stéréotypie. Et, que maintenant elle retourne dans le service apaisée…
 

Nous avons choisit ce jour pour vous annoncer, LA CREATION D UNGROUPE DE PSYCHODRAME INTER SECTORIEL PSY B-PSY C, que nous sommes en train d’élaborer.

Ce groupe concernera : 1 Psychologue et 1 Infirmier de Psy C

2 Psychologues de Psy B et moi-même. Mais ceci est une autre histoire !………..Pour demain.